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Il ne vous a pas échappé que depuis jeudi dernier la ministre du logement Emmanuelle Wargon a relançé la classique polémique sur la maison individuelle. Les réactions ont évidemment fusé contre ce « mépris » du rêve de 3/4 des Français.
Mais, voiçi ce que titrait Le Monde : « Le modèle pavillonaire au centre d’une bataille culturelle » :


Bien que le contexte des propos polémiques soit plus nuancé, on est passé à côté (comme toujours), et il faut donc désamorçer la polémique, en clarifiant ses propos (pourtant déjà clairs lorsque on lit l’article de presse en entier).
Le Monde titre bien d’ailleurs « le modèle pavillonnaire », et non « la maison ».
Ce lundi dans Ouest France : « Les maisons individuelles, un « non-sens écologique » ? Emmanuelle Wargon clarifie ses propos ».
Pavillon ou périurbain?
Un autre point de nuance encore à clarifier: de quoi parle-t-on ? On ne critique pas le pavillon, mais le lotissement ? Un lotissement reste un quartier résidentiel fait d’une architecture particulière, le pavillon donc. Mais en réalité, plus qu’un lotissement en tant que tel, on critique bien le périurbain, cet espace où se construisent la majorité des lotissements, espace mité, éloigné de tout, isolé socialement et géographiquement. Le problème le plus critiquable n’est donc pas tant l’urbanisme de faible densité (dans un monde libre et varié, on ne peut souhaiter l’absence de faible densité), mais plutôt l’urbanisation discontinue du périurbain (qui ne concerne pas que des maisons ! Et pas tous les espaces périurbains, qui sont eux-mêmes très variés, structurellement j’entends). Bref, une simplification, toujours nécessaire ceci-dit pour un discours court.
Quid de la banlieue ?
Alors, au vu de tout cela, je voudrais préciser ici qu’il y a bien une différenciation, que l’on prend rarement le temps de faire, entre banlieue « pavillonnaire » ou résidentielle (de maisons individuelles en majorité) et périurbain. Le périurbain est devenu un terme et un phénomène tellement évoqué dans le discours public et courant (à juste titre car c’est le type d’espace le plus dynamique depuis déjà quelques décennies en France), que l’on en vient à oublier ce qui constitue le tissu urbain majoritaire sur la planète: la banlieue. Celle-ci est, en France, injustement trop souvent associée uniquement à des cités d’immeubles HLM, or non, la banlieue, 9-3 y compris, est essentiellement composée de maisons individuelles, dont certaines, notamment aux USA et en Angleterre, datent d’il y a plus d’un siècle, à l’époque des chemins de fer et des tramways urbains ! En France c’est un peu plus récent, mais tout de même, on oublie toujours ces banlieues « individuelles », construites des années 1900 à 1990. Elle est en continuité avec le tissu urbain existant, souvent bien desservie en réseaux de bus, commerces, équipements de proximité, avec une certaine mixité sociale et « urbaine » (lieux d’emploi, petite industrie …), des centralités parfois vivantes, parfois des gares qui les connectent rapidement au centre-ville. Rien à voir avec ce fameux périurbain.
Voilà pour prendre un peu de perspective. Les banlieues ne sont plus aujourd’hui le type d’espace qui grandit le plus, depuis la volonté de freiner l’étalement des villes (pour ne pas faire à l’américaine). Pourtant, la métropolisation et l’urbanisation des terres se poursuit, plus loin.
Pour exemple, l’INSEE distingue les « unités urbaines » (espace d’urbanisation continu, soit grosso modo les villes et leurs banlieues « proches »), des « aires urbaines » (espaces d’attraction des villes, avec au moins 40% des actifs d’une commune travaillant dans la ville-centre ou son pôle urbain). Donc, si on prend Lyon (518 635 habitants en 2018) et sa banlieue contigüe, on arrive à 1 651 853 habitants (2016), or son aire urbaine, fortement périurbanisée et mitée, compte 2 310 850 habitants (2016).
Le rêve Français
L’espace périurbain est vraiment plus isolé géographiquement. Il est la concrétisation non pas que du désir de maison, mais aussi du désir (ou de la contrainte) de sortir carrément de la ville (et de ses banlieues « sans âmes »…), pour retrouver l’âme de la campagne où beaucoup de citadins, surtout les nouveaux arrivants des années 60-80, ont grandi. Un retour aux sources donc. En partie…
En effet, contrairement aux USA où la culture de la suburb et du rêve américain se sont implantés dans les esprits d’un peuple en partie récemment immigré dans les villes, et nourri de l’imaginaire des grandes plaines vides et de la nature sauvage, la France est un pays de campagne et de villages, et la banlieue ne semble pas être son rêve Français. Le rêve Français, c’est d’abord la campagne, faite de paysages vastes et variés, vastes mais habités, qui font d’ailleurs l’attrait esthétique et culinaire du pays. Le pays aux 35 000 villages. Mais si possible, un village proche d’une ville et de voies d’autoroutes.
Donc il s’agit bien plus d’un débat sur le périurbain qui, de fait, géographiquement, crée plus d’isolement et de dépendance à la voiture. Et de par son éloignement des centres, permet de plus grandes surfaces urbanisables et provoque (parfois) de plus long trajets automobiles.
Maison ou pas maison ?
En outre, sur la question de la maison en tant que telle, on ne peut décemment nier qu’elle représente bien plus qu’un symbôle de modernité, un rêve contemporain partagé (rappel : 3 français sur 4 y habitent ou voudraient y habiter si possible), mais une réalité antédiluvienne, du premier cabanon préhistorique à la villa moderne, du premier potager individuel aux vastes pelouses permettant réceptions privées, loisirs, émancipation des enfants etc. Toutefois, de nombreux commentateurs rappellent la construction et la diffusion du rêve de pavillon individuel dont on peut faire le tour (contrairement à la maison de ville souvent mitoyenne et étroite) depuis les années 70 par les pouvoirs publics et les lobbys privés.
« À partir de la deuxième moitié du 20e siècle, banquiers et promoteurs ont tout fait pour développer la maison individuelle. C’était tout bénéfique pour eux : il fallait s’occuper de quatre façades et d’un toit, les entretenir, les réparer, remplir une maison comme on voulait, un jardin comme on voulait. Il fallait acheter, meubler. La maison individuelle permettait de consommer beaucoup plus. […] Il y a même des banquiers aux États-Unis qui ne prêtaient à des promoteurs que si ceux-ci s’engageaient à ce que les terres urbanisées ne soient pas reliées au réseau de transport public. Pour le banquier, c’était la garantie de l’achat d’au moins deux voitures individuelles par ménage (et donc des crédits qui allaient avec, etc. » (V. Pfrunner, Groupe Facebook Des nouvelles de l’architecture, l’urbanisme & l’aménagement)
Pour autant, est-ce une raison pour rayer la maison individuelle de la carte des projets urbains ?

Ici sur UrbanEye, nous sommes de grands défenseurs, non pas tant du pragmatisme, mais de la raison, dans le sens du raisonnement. Nous avons un problème d’économie de l’espace à résoudre, alors faisons le bien car, comme chacun sait, la terre, c’est le nerf de la guerre. La terre, c’est tout (pour faire simple…^^). Alors, avant de devenir radical et de passer d’une politique d’expansionnisme pavillonnaire à un discours politique anti-maisons (maisons où d’ailleurs bien des experts et urbanistes vivent… ironie, hypocrisie ?), pourquoi ne pas commencer plus progressivement, déjà pour s’habituer, ensuite, pour faire les choses mieux. En effet, avant de priver d’espace les habitants, il y a énormément d’endroits où faire des économies d’espace plutôt que d’interdire purement et simplement les maisons (rappelons que la génération pavillon était aussi celle de « Il est interdit d’interdire » …).
Regardons déjà du côté de ces immensités souvent inaccessibles au piéton que sont les zones d’activités de bureaux qui s’étalent horizontalement sur les terres agricoles en périphérie, … toutes ces terres détruites pour des R+1 de bureaux entourés de mers d’espaces verts parfois dignes des plus beaux parcs urbains qui ne bénéficient à aucun habitant ; soit tout ca pour des tables des machines à café et des PC. Par exemple. Et surtout, il y a le sujet réel de cette polémique inutile, au final, qui est l’urbanisme, soit la manière de construire.
Comme le rappelle l’urbaniste Jean Marc Offner, (cf. article du Monde ci-dessus), « »ce n’est pas la maison individuelle qui pose problème, mais la maison construite dans le diffus » […] suggérant « d’inventer enfin un urbanisme pour les maisons ». Et j’ajouterai que, même si vous faites des petits immeubles dans le diffus en périurbain isolé, vous économisez un peu d’espace, mais la voiture individuelle et l’isolement social demeurent.
En quelques décennies à peine, on a été confronté à un problème d’étalement urbain des villes avec ses défis, mais on est très vite passé à un problème quasi ex-urbain, le périurbain. Celui de l’urbanisation des campagnes (souvent « métropolitaines, non loin des grandes, mais aussi petites villes), avec son accompagnement de grandes surfaces commerciales, industrielles et de voies rapides (gratuites) consacrant ainsi le déplacement automobile rapide sur de grandes distances.
Alors en fin de compte, le débat ne porte pas sur comment éradiquer la maison ou la voiture individuelle, ou la tv ou autres innovations addictives, mais bien sur comment mieux organiser l’urbanisation du territoire, tout en faisant le plus d’économie d’espace possible. Et si possible, en commençant par les lieux où les gens n’habitent pas, ca sera déjà cela de fait. Puis, en réduisant l’espace parfois inutilisé des modèles pavillonnaires, la taille moyenne des maison et jardins ayant de plus augmenté au fil des ans, … à mesure que la taille moyenne des foyers diminuaient !, avec les divorces et le vieillissement de la population.
Ensuite, se pose la question des rétroactions. Car on le voit bien, après près de 40ans de périurbanisation, et 20ans de loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain de 2000), la limitation de l’étalement urbain pavillonnaire des banlieues a évidemment provoqué de fait le report du pavillonnaire encore plus loin, dans le périurbain (c’était à prévoir …) même pour ceux qui auraient voulu d’une maison de banlieue, et accentuant ainsi (grandement!) le problème des distances parcourues en voiture, donc du CO2.
Conclusion ouverte : Faut-il, dans ce cas, revenir à une dose d’étalement urbain fait de maisons individuelles (pas trop grandes, … mais pas trop petites sinon cela ne marchera pas), afin de lutter contre l’éparpillement périurbain, la destruction des terres agricoles et l’augmentation du CO2 ?
Et surtout, comment faire évoluer le périurbain, en tenant compte du fait qu’il est l’espace de vie de près d’un tiers des Français depuis longtemps maintenant, sans renier inutilement son existence et sa nature comme espace de faible densité fait de maisons individuelles ?
Quoi qu’il en soit, il semble bien que le rejet de la maison individuelle est un vain (ou alors, …fin) débat, et que ce n’est pas forcément de ca que voulait parler la ministre.