Article du Monde du 16/04/2020, par Olivier Razemon
Cet article du Monde évoque enfin la question de la taille des espaces publics, notamment des trottoirs, en ville (question qui ne date pas d’hier, mais enfin évoquée dans un grand média). Comme pour beaucoup de choses, il faut une crise, un problème grave, pour prendre conscience collectivement et agir.
Le coronavirus sera-t-il une impulsion pour favoriser (poursuivre, pour être plus précis) la dynamique de réduction des voiries au profit du piéton et autres non-motorisés ?
https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/16/l-espace-public-reamenage-dans-les-villes-pour-faciliter-la-distanciation-sociale_6036819_3244.html
Réflexion sur les dimensions de l’espace public dans nos villes
Evidemment, l’urbanisme et l’épidémiologie sont étroitement liés.
Si c’est un bon prétexte pour une vrai prise de conscience de la nécessité d’élargir l’espace public en zone dense, … attention à ne pas accentuer un problème inverse, trop peu évoqué , et pourtant, majoritaire dans le paysage : la trop grande dilatation des espaces publics en zones périphériques … car c’est bien cela qui conduit une ville à ne plus être à « taille humaine ». Si le centre peut s’avérer par endroit trop étroit au vu de la densité de fréquentation, d’une rue, d’un trottoir, bien peu nombreux sont les voix qui s’élèvent pour dénoncer, depuis les années 1950, l’effet du fameux « étalement urbain » sur cet aspect du quotidien, sur le piéton. Le « trop d’espace ». C’est évidemment particulier, puisque l’espace est un luxe surtout en ville, pourquoi se plaindrait-on du « trop » d’espace?
Justement, outre pour limiter l’étalement urbain (ou « bétonnisation », pour traduire en version grand public), la trop grande dilatation de l’espace est aussi négative que son contraire. Trop d’espace pour l’usage et la population qui l’habite, induit une perte de lisibilité de l’espace (comme on l’a vu pour les grands ensembles), un sentiment d’isolement, anxiogène, via la sensation de solitude. Et le fait de moins voir les visages (au-delà de 100m, on ne distingue plus le détail du visage), moins de proximité humaine, ainsi que moins de visuels potentiels depuis les habitations, qui constituent en ville des sortes de potentiels témoins (en cas d’agression, d’urgence…), en un mot: une présence, rassurante.
Mais surtout, le fait de surdimensionner les espaces publics de la périphérie des villes – qui est déjà largement dilatée en densité d’habitants ou d’emplois au kilomètre carré, par rapport aux centres – cela conduit à défavoriser la marche à pied, le vélo, au profit de trajets en voitures qui sont souvent de courtes distances et évitables. La structuration de l’espace a un impacte psychologique sous-estimé : en zone dense, le temps de trajet passe plus rapidemment qu’en zone peu dense pour une même distance, c’est l’effet de la monotonie du paysage notamment. Cela conduit le plus souvent à cette facilité qui est de prendre sa voiture plutôt que de subir cette monotonie, car le trafic et le stationnement le permettent. Pour pallier à cela, il faut que le déplacement ait quelque chose de positif, pour contrebalancer cette facilité. Plus court, plus agréable, moins monotone, plus de piétons en circulation, plus de commerces, de densité d’habitat … A titre d’exemple, personne ne circule à pied dans les vastes suburbs américaines. Pour la simple et bonne raison, en 1er lieu, que les distances sont énormes, à l’échelle du piéton. C’est même pas une question d’état de santé physique, mais plus de temps et de psychologie.
Et c’est sans parler des personnes à mobilité réduite, notamment les personnes agées, de plus en plus nombreuses, qui seront d’autant plus isolées que leur vitesse moyenne diminue, et finissent parfois par ne plus pouvoir conduire. Devenant captifs de l’espace. A 3km/h, avec des articulations douloureuses, 500m à pied pour aller à la pharmacie, épicerie ou au parc, constitue un périple. L’espace peut être un luxe, comme une contrainte.
Si l’on veut agir sur les mobilités, réduire la part de la voiture en ville et notamment pour les déplacements courts, il faut absolument agir sur l’espace plutôt que de penser uniquement en termes de « mobilité » ou de technologie. La périphérie des villes offre déjà plus de confort, d’espaces verts, de respiration, moins de densité humaine, de part la manière contemporaine de la concevoir et du fait du marché foncier : moins de pression du marché induit plus de consommation d’espace. Il faudrait trouver un moyen pour ne pas trop accentuer cette dilation spatiale quand c’est possible, trouver un juste milieu entre promiscuité de la densité, et dilapidation du foncier. Pour impulser les changements de mobilités qu’implique le développement durable, il faut établir les conditions de cette mobilité.
Pour toutes ces raisons, retrouver des dimensions « à taille humaine » est important et aura un impact direct sur les modes de vie, le bien-être et l’environnement.
Pour résumer, les grands espaces c’est bien, c’est même nécessaire en ville ! (nécessaire respiration urbaine), mais point trop n’en faut, dans les endroits d’habitation où l’on s’efforce d’en faire un chez soi qui soit un minimum agréable, au risque d’empêcher ce qui fait la « taille humaine » d’un quartier, le small is beautiful que nous recherchons tous quelque part, et qui va de pair avec la ville « durable ».
Pour voir le blog d’Olivier Razemon, spécialiste des mobilités:
https://www.lemonde.fr/blog/transports/author/transports/