Les villes sont des phrases, dont les humains sont les mots. Le monde est un livre ouvert, qui n’attend qu’à être lu, attentivement. UrbanEye, l’oeil Urbain : C’est le regard qui fait le monde, qui le redécouvre à chaque génération, ou à chaque sortie de chez soi.
« Nous qui y sommes confrontés et le regardons, refaisons le monde et relions les choses en les voyant ; aucun des paysages où la main de l’homme est intervenue n’échappe à ce regard synthétique, qui cimente les choses et les interprète comme un tout cohérent […] comme si nous construisions des phrases, une syntaxe entre les unités isolées qui nous entourent. »
Stefan Hertmans, Entre villes, 1998
La métaphore littéraire pouvant se décliner ainsi à plusieurs échelles. Le tout étant d’arriver à lire, et de comprendre ce que l’on lit. N’est-ce pas (aussi) en lisant que l’on apprend ? Déjà, c’est en observant que l’on commence à comprendre. Et en comprenant, on avance.
C’est le travail du géographe de lire le monde (ou de tout scientifique d’ailleurs), et celui de l’urbaniste, mais c’est tout autant le plaisir du touriste et celui du quotidien. Car nous avons cela en nous, en chacun de nous. Nous sommes par nature, dès le plus jeune âge, des explorateurs.
L’exploration des villes se situe dans l’exploration du monde, en ce qu’elles sont à l’être humain ce qu’une bibliothèque est aux mots : un lieu de concentration et de confrontation (dans les deux sens de compétition autant que de coopération) et riche terreau de création. La ville est le terroir des idées. Mais la multitude rend aveugle. Comment comprendre une fourmi, lorsque l’on regarde une fourmillière ? On est vite hypnotisé. Comment connaître une bibliothèque, lorsqu’on a un temps fini dans un espace infini ?

Exploration infinie
Le monde est infini, tel une fractale, et lorsqu’on a terminé d’en faire le tour, on a toujours encore a explorer le détail de toute sa surface, le local, ou le global (voir simultanément plusieurs lieux et leurs liens qu’on ne peut connaître en étant sur place, ce pour quoi il faut prendre de la hauteur), sans parler de la 3ème dimension (les étages, les sous-sols). Cumuler et confronter les connaissances de ces territoires, de ces univers pris en tant que tels, à une échelle de plus en plus fine : une aire culturelle, un pays, un département, un terroir, une ville, un quartier, …une famille, une vie humaine. Et quand on connait tout sur tout, il reste a explorer le temps ! On rentre dans l’Histoire, sans sortir de la Géographie. Qu’est-ce qui a changé depuis mon dernier passage ici, là, depuis 3ans? depuis 3000ans? Ce qui donne une dimension infinie au voyage : chaque jour qui passe transforme un lieu connu en terra incognita. Et quand on veut continuer d’explorer, ailleurs, avant l’espace sidéral, il y a les océans, ou le monde microscopique, et surtout, dernier horizon, la conscience humaine, si vaste et insaisissable, étrange contrée à la fois la mieux connue et la moins bien connue. L’Histoire des autres, d’abord, prise individuellement, comme horizon itératif suivant celui de la famille, les communautés, la nation. Puis enfin, l’horizon ultime, la plus « petite » (en fait, grande…) échelle de la géographie, mais le plus vaste et le plus hostile des territoires : nous-même, notre conscience, puis l’inconscient, paradoxalement le plus vaste des territoires terrestres.
Pour terminer, revenons à l’espace, qui n’est finalement surtout que le fruit de nos perceptions, avec cette citation hautement sage et savante de M. Perec :
Vivre, c’est passer d’un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner.
Georges Perec, Espèces d’espaces, 1974.